LE BIZUTAGE HORS LA LOI

 


C'est , à chaque rentrée, la spécialité d'un très chic établissement catholique parisien, le collège Stanislas, qui prépare aux concours des plus prestigieuses écoles scientifiques.

Les nouveaux, les bizuts, sont invités par les anciens à déguster sous les huées et les injures" la soupe de Stan ", un ragoût immonde, mélange de nourriture pour animaux, de têtes de poulet bouillies, de tibias de porc, épicés d'ingrédients guère plus comestibles. Vêtus de sacs-poubelles et de couches-culottes, les impétrants doivent également se soumettre aux caprices des bizuteurs et de leur chef, le "Z".La soupe de Stan, qui s'est longtemps dégustée en plein jardin du Luxembourg, s'avalait depuis peu dans des endroits moins voyants.

Cette année, elle risque de ne plus être au menu. En effet, un comité national antibizutage, qui réunit 17 organisations - parmi celles-ci, les principaux syndicats d'enseignants et des associations de parents d'élèves -, a décidé de mener une vaste campagne pour lutter contre des rites de plus en plus violents et humiliants qui ne sont plus l'apanage des seules grandes écoles ou des facultés de médecine, au point d'avoir parfois gagné le secondaire." C'est la mise en examen, en avril dernier, de 6 internes d'un lycée professionnel des Yvelines pour viol en réunion qui a déclenché notre action, explique Alexandre Andular, un enseignant en philosophie de Limoges qui coordonne ce comité. Le pire, c'est que les élèves qui bizutent n'ont pas le sentiment de mal faire puisque c'est toléré par certains professeurs." Le président de l'Association des usagers de l'administration, Jean-Claude Delarue, régulièrement interpellé par des parents effarés, vient de créer un numéro de téléphone SOS Bizutage ( 01.42.72.11.15 ). " Chaque rentrée, dit-il, nous enregistrons des témoignages consternants." Il ne s'agit pas de monômes aussi puérils qu'imbéciles, mais de rites aux relents douteux tels que le "marché aux esclaves" - les bizuts sont vendus aux enchères aux anciens qui peuvent en disposer pour des corvées où l'on rivalise de sadisme - ou de brimades humiliantes à connotations sexuelles, dont les filles sont les premières victimes. Elles en sont aussi parfois les instigatrices. Une étudiante en médecine s'est d'ailleurs illustrée il y a quelques années en imaginant une séance de sodomie de bizuts avec des cierges..."

Impossible d'échapper à ces rituels, écrivent les auteurs d'un livre sur le sujet "Du bizutage et de l'élite des grandes écoles", ( de Davidenkoff ), sous peine d'être privé de polycopiés en médecine, ou, comme c'est le cas aux Arts et métiers, de se voir étiqueté HU (hors usinage) et d'être interdit de l'annuaire des anciens, un réseau indispensable pour la carrière."

Longtemps, la plupart des chefs d'établissement ont fermé les yeux sur ces pseudo-"rites d'initiation". Bernard Lefevre, responsable des questions pédagogiques au Syndicat national des personnels de direction de l'Education Nationale (SPNDEN). "De la même manière que la pédophilie n'est plus un sujet tabou, le bizutage commence à être remis en question."